C’est la fin de l’automne. Je suis en stage depuis quelques mois au Parc National de la Forêt Bavaroise (Est de l’Allemagne) et aujourd’hui je suis chargée de collecter… des excréments de cervidés ! Mission peu glorieuse à première vue mais qui m’emmène dans des endroits sauvages où seuls s’aventurent les animaux. En fin de matinée, je franchis la frontière tchèque et pénètre dans le Parc National de Šumava. Je commence à suivre le GPS, m’enfonçant dans les broussailles. Le Parc de Šumava est le plus vaste du pays. Avec son voisin le Parc de la Forêt Bavaroise, il forme 93 000 ha et constitue la plus vaste étendue boisée d’Europe centrale. Certaines régions sont interdites d’accès (sauf pour les agents du parc et les scientifiques) et on y expérimente le “réensauvagement”. Or, depuis les années 2000, les scolytes, insectes dont les larves provoquent la mort des épicéas, prolifèrent. Il est alors décidé de considérer cela comme un phénomène naturel, et d’envisager le scolyte comme une espèce clé de voûte et non un ravageur. Cette “non-gestion”, novatrice et unique, imposant de s’abstenir de toute intervention humaine, donne naissance à des paysages fantomatiques, à l’aspect désolé mais en réalité fourmillant de vie. Tandis que je me fraie difficilement un chemin dans ce décor, j’aperçois la brume se lever au fond de la vallée. Je m’arrête et respire profondément. Autour de moi, les arbres morts se dressent, tels des témoins de la forêt qui poussait là auparavant. Mais loin d’une impression de désolation, c’est au contraire un formidable élan de vie que je ressens !